Le Barbare et la jeune juive

Joseph Sigward

Préface



Les producteurs de vin bordelais, et plus précisément ceux de Saint-Julien, vont adorer ce roman dont toute l'intrigue est contenue dans le titre. Elle leur permettra d'augmenter leurs ventes.
Le reste du monde criera au scandale, à l'antisémitisme, au racisme, à l'incitation au suicide. Ce serait pourtant une erreur de juger trop vite cette impossible histoire d'amour ou histoire d'amour impossible, comme l'on voudra.

La Coloniale a formé le caractère de Francis, alias le Barbare. Aucun mot n'est assez fort, ni assez tempéré pour définir ce paradoxal héros. Son érudition s'avère fort surprenante. Si ses premiers actes donnent l'image d'un adolescent mal dans sa peau, en total déphasage avec le monde actuel, ses paroles trahissent rapidement son âge. Ses obsessions tournent autour de la mort et de sa succession. Elles le vrillent.

Catholique et violent, alcoolique et cultivé, raciste et tolérant, machiste et admirateur de nombreux caractères féminins, tout est contradiction ou plutôt mélange. Il fait partie de ces héros dont le charisme semble trop fort pour que l'on puisse le définir autrement que par lui-même. Toute autre tentative s'avérerait réductrice, décevante, injuste.

Déjà, comment et pourquoi s'attache-t-on à Francis, ce monstrueux barbare ? A l'évidence, pris au premier degré Francis représente ce qu'il y a de plus mauvais en nous. Eh bien, la fiction du roman permet de prendre conscience de l'attrait sulfureux des perversités sommeillantes et de les contrôler, de les neutraliser !
En bon psychanalyste Joseph Sigward accomplirait-il un acte de santé publique avec ce roman ?

Francis est également un homme totalement à contre-courant de la modern way of life. La société actuelle ? Il la rejette.
La guerre lui ayant procuré des sensations paroxystiques, la mièvreté de son quotidien ne peut que le décevoir… et les personnes qu'il rencontre nous apparaissent toutes pires que lui.

Assassin ? Non, ce serait trop simple. Ne tuant pas sans avoir été attaqué, il est "innocemment " un meurtrier. Par rapport à ses contemporains, il représente ainsi la justice, la force.
L'inquiétant, peut-être, est que le lecteur ne peut pas ne pas aimer Francis. Est-ce l'aveu d'une sorte de faiblesse, la preuve que si Hitler revenait aujourd'hui, il parviendrait encore à leurrer des foules rendues apathiques par la boîte à décerveler ?

En vérité, seule Sara, ou plus exactement son amour, justifie l'attachement au Barbare. Jeune, juive, américaine, belle, cultivée, brillante, indépendante, tolérante, elle incarne une sorte de perfection, un charme naturel attendrissant. Sa faiblesse est sa force. Elève du Barbare, elle lui dicte sa conduite, lui donne une raison de vivre, un espoir de survie. Elle comprend et pardonne la présence de certains ouvrages dans la bibliothèque.
Demain sera féminin et Sara incarne parfaitement cet idéal. Einstein, Freud et leurs cousins transparaissent en elle. Elle donne la réplique au Barbare, et parvient à convaincre le lecteur que cet autodestructeur mérite d'être aimé, vénéré.

En 1998, les particules élémentaires de Houellebecq secouaient la France. Le séisme prend ici une autre dimension.
L'écriture est magnifique, pleine de références historiques et culturelles mais aussi de jeux de mots. Il n'y a pas de demi-mesure. On traverse les chapitres en chancelant entre le bien et le mal. Le scandale alterne avec l'émerveillement. La puissance de la description de certaines scènes prend littéralement aux tripes.
Du coup, le lecteur se livre forcément à une réflexion sur lui-même, sur ses sentiments, ses réactions. Chacun a besoin de héros, de maîtres pour progresser, pour se donner des valeurs, une raison de vivre.

Je veux seulement croire ce livre plus salutaire que dangereux, même si le passé a démontré que la magie de l'incantatoire peut transformer les mots en armes redoutables.
D'un autre côté, en une époque où la société fournit peu de véritables héros, Francis pourrait devenir le symbole de deux générations : celle qui, ayant connu le pire, regarde avec amertume le résultat de ses sacrifices, et celle qui, délaissée par la société actuelle, émerge dans certaines banlieues, en quête de respect, d'identité.
Encore un paradoxe ?

Elisabeth Piotelat
 



©Elisabeth Piotelat 2000-2001
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